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Une visite du château de Falaise en 1590

Monsieur David Audibert


docteur en histoire moderne de l’Université du Mans
chercheur associé au Laboratoire TEMOS (TEmps, MOnde, Sociétés), UMR 9016 CNRS

 

          Dans la seconde moitié du XVIe siècle, les guerres de Religion secouent fortement le royaume de France opposant catholiques et protestants, sur fond de considérations à la fois religieuses et politiques. La Normandie n’échappe pas au conflit et plusieurs foyers protestants y sont recensés à cette époque. C’est le cas de la ville de Falaise, où les protestants prennent le pouvoir dès les années 1560 . La fin des années 1580 y est particulièrement agitée : avec son imposant château, Falaise est une place forte de choix, qui bascule du côté des Ligueurs vers 1585 1 .Plusieurs tentatives de reprise de la forteresse par les troupes royales sont signalées dans les années qui suivent mais elles se soldent toutes par des échecs 2 . En 1589, Henri IV fait le siège de la ville avec les armées royales et, sous le feu des canons, les Ligueurs finissent par déposer les armes. Henri IV entre victorieux dans Falaise au début de l’année 1590. La ville perd alors toute fonction militaire. Cependant, les dégâts de ce siège sont nombreux et les mois qui suivent vont permettre d’en constater l’ampleur…

 

En ce 28 mai 1590, « damoiselle Anne de Chenevières, veufve de deffunct M[aistre] Mathurin Barrier, escuyer, par cy-devant fermier du revenu du domaine du Roy de [la] vicomté » de Falaise, grenetier au grenier à sel de cette ville, requiert, par l’entremise de son fils, Hippolyte Barrier, la rédaction d’un procès-verbal émanant du lieutenant général du bailliage de Caen pour constater l’état des toitures du château de Falaise 3 . En effet, Anne de Chennevières a repris le bail détenu par son défunt époux sur le domaine royal en la vicomté de Falaise et, en cette qualité, elle est responsable des bâtiments qui en dépendent, dont le fameux château… Or, elle a déjà fait restaurer les toitures du château dans les années qui ont précédé et elle ne souhaite pas renouveler des travaux coûteux. Le but évident du procès-verbal est d’éviter de payer les dommages. En présence du lieutenant général et de deux couvreurs en tuiles, commence donc une visite du château, un état des lieux en quelque sorte, afin de constater les traces des réparations antérieures et des dégradations liées au siège, notamment aux nombreux coups de canon tirés par les armées royales.

 

 1   Frédéric GALERON, Histoire et description de Falaise, Paris, Lance, 1830, p. 32.

 2 Ibid

 3 La procédure est relatée dans ce procès-verbal, papiers de la famille Barrier, Arch. Dép. du Calvados, F 5619.

 

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Illustration 3 1

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Ce document fort intéressant nous permet ainsi de visiter le monument dans sa configuration de l’époque. En voici la transcription effectuée en 1935 dans le Bulletin de la Société des antiquaires de Normandie 4  .

Aujourd'huy vingt huictiesme jour de may M VC IIIIXX et dix, devant nous Guillaume Douésy, escuyer, licencié es loix, lieutenant général civil et criminel de Monsieur le Bailly de Caen, s'est présentée damoiselle Anne de Chènevières, veufve de deffunct messire Mathurin Barrier, escuyer, par cy-devant fermier du revenu du domaine du Roy de ceste viconté de Fallaize, par messire Hypolite Barrier, escuyer, son filz, laquelle nous a requis, suyvant la requeste par elle présentée et conclusion du procureur du Roy escript au bas d'icelle du quatorziesme du présent moy [s] et an, [que] nous eussions à nous transporter ce jourd'huy au chasteau de la ville de Fallaize, présence dudit procureur du Roy, présence aussi de Noël Daniel et Jehan Jamet, couvreurs en thuille, aux fins de dresser notre procès-verbal des réparations que ladite de Chenevière dict avoir faictes aux édiffices du chasteau de ceste dicte ville de Falaize, en précédent les ruynes arrivées en icelluy par le canon et siège, suyvant qu'elle est tenue par son bail à elle faict dudit domaine, selon qu'il est plus à plain contenu en ladicte requeste, suyvant laquelle nous sommes ce jourd'huy, après midy, transportez audict chasteau, présence de messire Loys-Jehan-Françoys L'Hermite, escuyer, advocat et procureur du Roy audict lieu, et desdicts Daniel et Jamet, couvreurs, présence aussi de Me Vigor Lheure, greffier demondict sieur le Bailly, par nous prins pour adjoinct, et après avoir prins le serment desdicts Daniel et Jamet, couvreurs, et purgez de saon coustumier, de nous faire bon et loyal raport en quel estat et existence de couverture estoient les édiffices dudict chasteau, au jour de Pasques que l'on comptoit M VC IIIIXX et neuf et des ruynes qui y estoient advenues depuis ledict jour, nous sommes acheminez droit au donjon dudit chasteau, où faict de présent sa résidence noble homme Jehan Le Bouteillier, sieur de Houllebec, lieutenant de noble et puissant seigneur messire Jacques de Montmorency, chevalier de l'Ordre du Roy, capitaine et gouverneur des ville et chasteau de Fallaize, présent avec nous à ladite visitation, auquel lieu avons trouvé que la couverture de la grosse tour estoit beaucoup ruynée et y a apparence que ladicte ruyne est provenue de coups de boullet procédans de l'artillerye qui estoit bracquée sur le rocher qui regarde droit sur ladicte grosse tour, et nous a esté ainsi atesté par lesdicts Daniel et Jamet, couvreurs ; et, en tant que les deux tours de la porte de l'entrée du donjon du chasteau, avons trouvé que partie de la thuille d'icelles, du costé vers ledict donjon, avoit esté jectez par terre, et apparoist que ce a esté de force tant dudit canon que autrement, comme il nous a esté attesté par ledict sieur de Houllebecq que cela estoit arrivé le jour que le chasteau fut prins par le Roy, à raison que le feu avoit prins à ung caque de poudre estant dans la chambre de la tour, qui avoit soubzlevé le plancher et rompu ladicte couverture, mesmes avoit bruslé aucuns des soldatz du conte de Brissac qu'il avoit veu ; et en tant que l'oultre plus de la couverture d'icelles tours apparoissoit entière et avoit esté réparée depuis peu de temps, et nous a esté attesté par lesdits Daniel et Jamet qu'ils avoient réparé ladicte grosse tour et tours de couverture depuis le jour Sainct-Michel dernier et estoient en bonne et deue réparation audict temps. Et dudict donjon nous sommes transportez près d'un corps de logis servant de four audict chasteau, lequel nous avons trouvé tout descouvert, estant la thuille et chevron rompuz en plusieurs endroictz, ce qui apparoist avoir ainsi esté desmoly dudict canon et n'y a apparence qu'il y eust aultre ruyne que à cause desdicts coups. Et de là nous sommes transportez sur la muraille dudict chasteau vers la faulce porte et estang dudict chasteau, auquel lieu avons trouvé une grosse tour proche d'icelle faulce porte nommé[e] la tour à la Royne, laquelle paroissoit avoir esté couverte de thuille, en ce qu'il y avoit encores quelque peu de chevrons et festeaux sur unne partie de la muraille d'icelle tour du costé vers ledict donjon, mais l’outre-plus estoit ruynée de fond en comble par l'impétuosité du canon qui l'auroit abattu. El au-dessus, continuant notre chemyn de ladicte tour vers la porte dudict chasteau, avons trouvé deux autres tourelles que lesdicts Daniel et Jamet nous ont attesté avoir esté, en précédent ledict siège, de tout temps couvertes de thuille, parce qu'il ne nous apparoissoit d'icelle couverture et estoit icelles tourelles rompues et abbatues, et si nous ont attesté que, en  précédent ledict siège, qui fut en janvier dernier, lesdictes troys tours estoient en bonne et deue réparation de couvertures. Et de là nous sommes transportés de l'autre costé dudict chasteau vers le Val d'Ante, auquel lieu nous a esté monstré par ledict Barrier une autre tour, nommée la tour au Berger, à laquelle apparoist y avoir ung trou faict d'un coup de canon et quelque[s] thuille[s] cassée[s] [parce] que ladicte tour avoit esté de nouveau recouverte, ce qui nous a ainsi [esté] attesté par lesdicts manouvriers. Et, pour le regard du grand logis manable et autres maisons y joignant, et près d'icelle chapelle, gallerie, arcenalle, escuryes et autre couverture de l'outre-plus desdicts édiffices dudit chasteau, avons trouvé qu'elles estoient en bonne et deue réparation de ladicte couverture, réserve qu'il y avoit en la plupart d'iceulx plusieurs trous proceddans de coups de boullets, comme il nous a esté attesté par lesdicts couvreurs et encore apparoit à l'œil que présentement lesdicts trous y ont été faicts de force. Et n'y avoit aultre ruyne, comme il nous a été attesté par lesdicts couvreurs et qu'ilz avoient réparées toutes les couvertures d'iceux édifices, requeste de ladicte damoiselle, depuis le jour Sainct Michel dernier et qu'il ne manquoit aucune chose. Cela faict, ledict Barrier nous a requis nous transporter en ung autre corps de logis dudict chasteau scitué entre le puys d'icellui chasteau et une mazure nommée la salle Talebot, lequel logis ledict Barrier disoit que, lorsque ledict bail fut expiré, ladicte maison estoit encore couverte de thuille et en bonne réparation, en tant que ce qui en estoit couvert de tous temps, néantmoing qu'à présent il n'y apparoist aucune couverture, parce qu'il disoit qu'elle avoit esté desmollie par les soldatz du conte de Brissac depuis le moys d'octobre dernier, nous requérant sur ce oyr lesdicts couvreurs. Suivant laquelle requeste, nous sommes transportés audict lieu et avons trouvé qu'il n'y avoit que la mazure sans apparence d'aucune couverture, et néantmoing nous a esté attesté par lesdicts couvreurs crue, audict temps de Sainct Michel en précédent, ladicte maison estoit bien et deuement couverte et que, cessant qu'elle avoit esté abattue de force, il n'y eust esté besoing d'aucune réparation.

Et, de la requeste que dessus, sommes sorty dudict chasteau et transportez au lieu où estoit scitué la cohue et auditoire du Roy notre sire, proche de la porte dudict chasteau, laquelle nous avons trouvé desmollye et ruynée de sorte qu'il n’y reste que viron deux costez de murailles et nous a esté rapporté par lesdicts couvreurs qu'elle avoit esté ruynée et abattue par le commandement du conte de Brissacq au moys de décembre dernier et que, au jour de Pasque an VC IIIIXX et neuf et lon[g]temps depuis, elle estoyt en bonne et deue réparation de couverture de boys et de thuille, et ne restoit à présent que partye de la couverture de la chambre du conseil contigue d'icelle cohue, laquelle, en ce qui restoit, apparaissoit en bonne réparation. Et, en tant que la geolle et prisons dudict Fallaize adjacente dudict lieu, desquelles est à présent geollier Guillaume Guerpin, luy avons faict commandement de nous faire ouverture d'icelles, afin de dresser notre procès-verbal de l'essence de réparation de [déchirure], ce qu'il a faict, et à l'instant nous y sommes transportez et avons trouvé partie de la thuille du costé vers le chasteau abatue et rompue en troys endroitz où y a grand ouverture et la latte rompue, lesquelz bresches ledit Guerpin nous a dict avoir oy dire qu'elles avoient esté faictes à la prinse de la ville au moys de janvier dernier par les soldatz qui entrèrent par Iesdictes bresches dans ladicte geolle. Davantaige, y a quelques thuilles cassées en divers endroictz dudict corps d'hostel de ladicte geolle, et néantmoings nous a esté attesté par lesdicts couvreurs que, audict temps de Pasques an VC IIIIXX et neuf, ladicte geolle et prisons estoient en bonne et deue réparation de la dicte couverture et que les ruynes y sont arrivées depuis ledict jour.

Et, de la requeste dudict Barrier, nous sommes transportez dans les halles de la boucherye d'icelle ville près l'église de la Trinité, lequel nous a remonstré que, néantmoings que lors de l'expiration d'icelluy bail les dictes halles feussent en bonne et deue réparation de la dicte couverture, fors et réserve quelque nombre de thuille qui avoit esté rompu par Guillaume [Raoult] lorsqu'il batissoil une maison à luy appartenant, joingnant les dictes halles, néantmoings il paroissoit que le boult de haut, vers la dicte église, estoit descouvert de la longueur de deux pointes et les chevrons emportés, ce qu'il disoit avoir esté faict par les soldats du conte de Brissacq, nous requérant sur ce examiner lesdicts couvreurs, lesquels jurez comme dessus, nous ont dict et attesté que la dicte ruyne estoit provenue pendant que ladicte ville estoit occupée par ledict conte de Brissacq et par ses soldatz ; en précédent l'occupation de ladite ville,

lesdites halles estoient en bonne et deue réparation de la dicte couverture, nonobstant y ayt deffault de quelque thuille ausdictes halles, et de notre part attestons qu'il apparoist que le boult desdictes halles dont la couverture est rompue, a esté descouverte de force et non par la ruyne, parce que l’outreplus d'icelles halles apparoist suffisamment couvert, réserve qu'il y avoit deffault de plusieurs thuilles et quelque nombre de lattes et thuilles que l'on dit avoir esté rompues par Guillaume Raoult lorsqu'il batissoit sa maison.

Et, de la requeste que dessus, nous sommes transporté aux halles à bled de ceste dicte ville de Fallaize, auquel y a deffault de quelque thuylle en aucuns endroitz desdictes halles et une bresche à l'un des gables d'icelle du costé vers l'église, duquel les chevrons ont esté emportez et [déchirure] rompus, mais nous a esté dict et attesté par lesdicts couvreurs que ladicte ruyne est arrivé depuis la prinse de la ville et que audict jour de Pasques audict an VC IIIIXX et neuf [déchirure] depuis les dictes halles estoient en bonnes et deues réparations de ladite couverture.

Et, pour le regard du moulin fouleur de draps auquel nous nous sommes transportez, présence des susdicts officiers et couvreurs, situez au faulxbourg du Val d'Ante, avons trouvé qu'il estoit en bonne et deue réparation de ladicte couverture, fors qu'il y a deffault de viron de douze thuilles, et néantmoings a esté dict par les dicts couvreurs que le dict moulin estoit bien et deuement couvert audict temps de Pasque M VC IIIIXX et neuf, pour avoir esté par eulx réparé peu auparavant ledict temps.

De toutes lesquelles choses et de notre présent procès-verbal nous avons accordé acte à ladicte de Chènevières, stipullé comme dessus, présence des dicts officiers du Roy, de notre dict greffier et desdicts couvreurs, pour servir à ladicte de Chennevières ce qu'il apartiendra par raison, et lesquelx par plus grande aprobation ont signé le présent procès-verbal… ».

          Précisons, pour l’anecdote, qu’Anne de Chennevières était la cousine germaine de Jean Vauquelin des Yveteaux, père de Nicolas Vauquelin des Yveteaux, précepteur de Louis XIII, et poète à ses heures. Il dédia une de ses célèbres Foresteries à ladite Anne de Chennevières.

4 Bulletin de la Société des antiquaires de Normandie, tome XLIII, année 1935, Caen, Jouan et Bigot, 1936, p. 374 à 379.

 

 

 

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